A partir d’un message de Guy Kawasaki sur Twitter, je découvre ces magnifiques photos d’Albert Kahn. Immédiatement frappée par leur modernité, j’ai voulu en savoir plus. D’où viennent ces couleurs? S’agit-il de recolorisation? Quel procédé photographique a-t-il été utilisé? Comment et par qui ont-elles été prises?
De liens en liens, je suis arrivée sur le site du Musée Albert Kahn, puis sur cette page de projection retraçant la vie et l’oeuvre de ce mécène et humaniste du siècle dernier. Voici quelques notes tirées du film « Albert Kahn à Boulogne-Billancourt« .
Qui était Albert Kahn?
Albert Kahn était un banquier juif français né en 1860. Il a très tôt l’intuition que le monde dans lequel il vit est en train de changer.
Dès 1898, il créé des bourses de voyage pour faire sortir la jeunesse française du nationalisme le plus étroit et l’ouvrir au monde. Il pensait que les pédagogues devaient enrichir leurs connaissances purement livresques par des voyages. Aussi, il a créé des bourses de voyage pour jeunes agrégés Français, Allemands, Anglais, Nord Américains et Japonais. Il leur était demandé de regarder, de s’imprégner de la vie réelle et charnelle des pays, gens et des choses et ainsi de mieux enseigner à des futurs citoyens. Au retour, un simple rapport de voyages leur était demandé. Le diagnostic posé par Albert Kahn est que la méconnaissance était source de conflit. On retrouve chez lui cet esprit de tolérance du XVIIIème et de rencontre entre les cultures.
Il se lance dans un projet démesuré en 1908: prendre en photo le monde entier pour garder la trace de modes de vie en train de disparaître.
Son projet est délirant : constituer des archives photographiques à l’échelle de la planète, faire l’abécédaire de tous les pays du globe. Pendant 20 ans, ce pacifiste militant, millionnaire éclairé, va financer le voyage à travers le monde de photographes et de cinéastes qui vont tourner des scènes de la vie quotidienne.
Les archives de la planète
Les archives de la planète représentent un témoignage photographique et cinématographique unique du quotidien des habitants du monde au début du XXe siècle. Il a gardé la trace d’un monde aujourd’hui disparu. Il y a par exemple des images des pieds bandés des Chinoises, des fumeuses d’opium au Tonkin, des images tournées en Iraq, Iran, en Mongolie, au Tonkin dans les années 1920, images extraordinaires d’une collection unique au monde.
4 000 plaques stéréoscopiques, principalement en noir et blanc, (procédé de photographie restituant le relief) illustrent le voyage autour du monde qu’effectua Albert Kahn entre 1908 et 1909. Le Japon et la Chine sont particulièrement documentés.
Technique utilisée
Les deux techniques utilisées pour fixer ces images sont le cinématographe né une dizaine d’années plus tôt et l’autochrome.
Les films représentent 180 000 mètres. 35 mm muets, noir et blanc pour la plupart hormis quelques rares sujets teintés ou en couleur «naturelles» (cf. procédé Keller-Dorian). Soit environ 100 heures de projection.
Il s’agit surtout de rushes (images brutes issues du tournage), auxquels s’ajoutent des films provenant d’actualités de l’époque. Ces films ont la particularité de n’avoir pratiquement jamais été montés à l’époque. Ils le furent seulement pour être projetés par Jean Brunhes lors de ses cours ou de ses conférences ou encore pour être montrés à Boulogne aux invités d’Albert Kahn.
72 000 plaques autochromes ont été archivées. Il s’agit de la plus importante collection au monde.
L’autochrome
Il s’agit d’un principe révolutionnaire de photo couleurs à base de fécule de pommes de terre inventée par les frères Lumière en 1903.
Une autochrome, est une diapositive sur plaque de verre, un procédé industriel de photographie en couleurs, une plaque photographique avec une émulsion noir et blanc et une mosaïque trichrome, trois couleurs qui permettent de restituer la couleur par transparence.
L’autochrome, c’est la modernité en terme de photographie à cette époque. Mais l’autochrome est un procédé de prise de vue lent, demandant un long temps de pause. Selon les conditions de luminosité, il faut faire poser les gens une dizaine de secondes. On le voit sur les photos: les gens sont un peu raides ou semblent intimidés par la prise de vue. Sur certaines photos, on peut déceler des « fantômes », silhouettes de personnages qui passent rapidement dans champ de vision.
Les explorateurs partaient avec des réserves d’autochrome dans des malles à leur nom. C’était donc une entreprise très onéreuse et fatigante, le matériel était lourds. Les opérateurs, vrais aventuriers, se déplaçaient en train, voiture ou bateau. L’opérateur remplissaient des carnets de prises de vue dans lesquels tout est systématiquement et rigoureusement noté à la plume. Les plaques ont été conservées dans des boîtes en bois jusqu’en 2002, puis ont été transférées dans une réserve à hygrométrie et température contrôlées. 72 000 plaques autochromes ont été archivées. Il s’agit de la plus importante collection au monde.
Le site web du Musée Albert Kahn est une mine de renseignements et donne vraiment envie d’aller sur place découvrir ces chefs d’œuvres et ces jardins.
Je pense qu’elles devraient être numérisées, ces images, si ce n’est pas déjà fait. Dans tous les cas les couleurs semblent extraordinaires, après tant d’années c’est assez rare, même avec nos procédés modernes d’impression.