Croire et faire croire, croyance et non croyance
Tel était le sujet de la conférence inaugurale de Bernard Faure lors du dernier Festival Histoire et Cité à Genève, dont le thème principal était: croire et faire croire, croyance et non croyance. Bernard Faure est historien des religions et japonologue français, spécialiste du bouddhisme chán, professeur au département des langues et civilisations d’Asie à l’Université Columbia, New York, auteur de nombreux ouvrages sur le bouddhisme. Voici la vidéo de son intervention [min 37:00] et ci-dessous un résumé des points principaux de cette conférence riche et très intéressante.
Pleine conscience ou fausse conscience? Le dialogue entre le bouddhisme et les neurosciences, initié par le dalaï-lama dans les années 80, a largement contribué à la popularité actuelle de la pleine conscience (Mindfulness). Après trois décennies, force est d’admettre que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. À vouloir prouver trop vite la convergence entre les deux domaines, on a souvent créé des malentendus. Pour sortir de cette impasse, il importe donc d’ouvrir un vrai débat, en marquant clairement les différences.
En résumé
Face à la frénésie du public devant certains représentants du bouddhisme – Mathieu Ricard par exemple – Bernard Faure s’interroge et nous interroge: peut-on et devrait on naturaliser le bouddhisme, le rendre conforme avec les neurosciences.
Le Mindfulness et MBSR (Mind Brain Stress Reduction)
Dans les années 80, il y avait convergence entre le bouddhisme et les neurosciences. Aujourd’hui, on assiste à l’engouement pour la pleine conscience, le mindfulness et le MBSR (Mind Brain Stress Reduction) qui recueille une importance médiatique. Il y a un désir d’atteindre un consensus, mais il y a des limites.
- le bouddhisme joue un rôle plutôt passif
- l’accent a été placé plus sur certaines écoles du bouddhisme, par exemple le modernisme du bouddhisme centré sur la philosophie plutôt que sur les rites
- le mindfulness plutôt que les rites, la dévotion, le mythe ou l’expérience visionnaire
Il serait nécessaire d’élargir le cercle des interlocuteurs. Les historiens parlent des bouddhismes. Les points de convergence nécessitent une approche plus diplomatique. S’il y a dialogue, c’est plutôt un dialogue de sourds, une occasion manquée de débat réel.
Le bouddhisme devrait pouvoir s’adapter aux technologique, c’est la vision des geeks bouddhistes, qui ne retiennent que ce qui leur convient dans le boudhisme. Ils se disent hackers, ont peu d’intérêt pour le bouddhisme traditionnel. On assiste à une disruption des relations sociales traditionnelles par le marketing et les big data.
La barre est haute pour le bouddhisme: les cyborgs ont-il une nature bouddhique?
L’idéologie du néo capitaliste? Une version laïque de la pleine conscience, le mindfulness – avec peut-être un effet placébo – de la tradition bouddhique, et de la modernité, les effets scientifiques prouvés de la médiation. Cette vision est assez éloignée des pratiques des populations d’Asie et constitue de ce fait ce que les spécialistes appellent un « néo-bouddhisme ».
Ce néo-bouddhisme est en quelque sorte une adaptation du bouddhisme à la mentalité occidentale contemporaine, marquée par la rationalité et par l’individualisme. Ainsi, Bernard Faure relève que le bouddhisme pratiqué en Asie est très attaché aux rituels, qu’il est souvent teinté de pratiques magiques destinées à obtenir les faveurs des divinités, que l’Eveil est souvent mis au second plan par les pratiquants qui recherchent avant tout des bénéfices mondains (succès, richesses, prestige), qu’il est aussi lié avec la politique et le nationalisme (par exemple au Japon et au Sri-Lanka), qu’il est une religion d’abord communautaire (la Sangha est un des trois Trésors) –ce qui hérisse fréquemment les individualistes que nous sommes en Occident. Une approche idéalisée de cette religion au point d’en faire une sorte de nouvelle spiritualité, assez éloignée de la pratique –très diversifiée – des pays asiatiques. « Il faut sans doute se féliciter de cette nouvelle spiritualité, à la fois « plurielle » et « universelle ». On peut aussi se demander pourquoi elle doit encore se réclamer du bouddhisme, et n’est pas simplement une forme, relativement modérée certes, de spiritualité de type « New Age ».
Est-ce une profession de foi aveugle?
L’interprétation de l’imagerie fonctionnelle sur des moines bouddhiques est très difficile, surtout si le sujet d’étude est unique (Mathieu Ricard) et si le regard des scientifiques biaisé par une admiration excessive du sujet étudié (Dalaï Lama qu’on nomme « Sainteté »)
Une constante: de beaux paysages, de beaux jeunes hommes et femmes, un décor idéal, des positions de yoga (qui n’ont rien de bouddhiques!), des sourires. On est dans le narcissisme compassionnel, consumériste et neocapitaliste.
En ce qui concerne les cours de méditation accélérée, on pourrait les qualifier de techniques de marketing pour capturer l’attention du consommateur pour lui offrir un surplus de conscience. Ce n’est pas ce que pratiquent les bouddhistes.
La science contemplative n’existe pas encore et elle n’est pas pour demain.
La science à la 1ere personne, naturaliser la médiation est bien distinct du bouddhisme traditionnel. Le bouddhisme naturalisé est un bouddhisme empaillé, les relations ont pris le pas sur la substance. Théorie selon laquelle tout est expliqué par des méthodes scientifiques, pas de domaines réservés aux religions. Une idée très répandue: l’esprit pourrait être scanné sur une autre plateforme comme un logiciel. Le cerveau ne serait qu’un centre parmi d’autres. On pourrait naturaliser le karma, la cosmologie, la divinité, la doctrine, la conscience bouddhique comme la pleine conscience (IRM)
Les résultats sont remis en question par les neuro sceptiques. Jouer à Super Mario est sensé épaissir le cortex pré frontal, comme l’expérience avec Mathieu Ricard.
Le bouddhisme comme recette du bonheur?
Cela revient à le vider de sa substance. Les textes ne parlent jamais du bonheur au sens occidental, la recherche même du bonheur est une source de souffrance pour soi-même et les autres. Le bouddhisme n’est pas seulement un projet philosophique, ce qui aboutirait à détruire certains aspects du bouddhisme.
Et si la pleine conscience était le problème et non pas la solution? Il faudrait un changement de paradigme en faisant l’éloge des différences.
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Quelques applications de mindfulness, pleine conscience